La société française Tagattitude a surpris beaucoup d’observateurs en annonçant mi-octobre 2011 le lancement de la technologie « NFC 2.0« . Avant d’analyser cette annonce, présentons en quelques mots la société.
Fondée en 2005, Tagattitude est spécialisé dans le paiement mobile et les technologies de sécurité. Deux types de produits : des solutions d’authentification forte pour l’accès web et des solutions de paiement mobile conçu pour les populations non-bancarisées. La société a développé la technologie « Near Sound Data Transfer » (NSDT™) permettant à tout type de téléphone d’être utilisé en tant qu’outil de paiement et d’authentification: NSDT™ utilise le son (haut-parleur / micro) du téléphone pour transmettre de façon sécurisée les données. TAGPAY est la plate-forme complète de paiement mobile utilisant la technologie NSDT™. Elle comprend de services de paiement à distance et de proximité tels que le paiement dans un magasin ou sur internet et le transfert d’argent.
La société est présente dans de nombreuses parties du monde et en particulier sur des marché peu-bancarisés comme l’Afrique, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud. Nous avions déjà cité Tagattitude dans un article sur le paiement par mobile comme acteur clé de ce marché.
Et donc Tagattitude présente cette technologie comme du NFC 2.0 en allant jusqu’à protéger le terme « NFC 2.0 ». Un premier article de Techcrunch a décrit la technologie favorablement, tout en indiquant clairement que ce n’est pas du NFC « Tagattitude Launches “NFC2.0″ Technology (And No, It’s Not Actually NFC). Les commentaires de l’article sont passionnants à lire, entre utilisateurs de la technologie Tagpay et les professionnels du NFC qui ont tout de suite noté que le terme NFC est inapproprié par rapport à la définition reconnue par les professionnels et par le NFC forum.
Qu’en est il réellement ?
Rappelons que le « NFC est une technologie de communication sans-fil à courte portée et haute fréquence, permettant l’échange d’informations entre des périphériques jusqu’à une distance d’environ 10 cm. Cette technologie est une extension de la norme ISO/CEI 14443 standardisant les cartes de proximité utilisant la RFID (Radio Frequency IDentification), qui combinent l’interface d’une carte à puce et un lecteur au sein d’un seul périphérique. Un périphérique NFC est capable de communiquer autant avec le matériel ISO/CEI 14443 existant qu’avec un autre périphérique NFC, et est tout autant compatible avec les infrastructures sans-contact existantes déjà en utilisation dans les transports en commun et les terminaux de paiement. La NFC est à la base conçue pour un usage dans les téléphones mobiles ». (Wikipedia)
Cette notion de norme est importante car elle est la base d’un certain nombre d’infrastructures en particulier dans les transports, les cartes d’accès aux entreprises, aux hôtels ou le système bancaire. Le NFC permettra aux mobiles ainsi équipés d’utiliser toute cette infrastructure .
Comparons ces deux technologies, le NFC tel que développé par le NFC Forum et le NFC 2.0 tel que proposé par Tagattitude
- Le déploiement (mobile et infrastructure) – En reprenant le communiqué de presse « Grâce au NFC 2.0(TM), les consommateurs peuvent désormais payer, à partir de n’importe quel smartphone, sur les terminaux de paiement des commerçants, sur les sites Web de e-commerce, sur les distributeurs de billets ou auprès de toute personne équipée de l’application TagPay sur son smartphone ou de n’importe quelle tablette. » !!! L’article de Paiement Mobile ajoute « Elle fonctionne sur tous les smartphones et n’oblige ni l’utilisateur ni un commerçant de se doter d’un lecteur NFC. Il suffit de télécharger l’application TagPay du côté utilisateur, et de d’interfacer sur l’API proposée par TagPay du côté commerçant. » Tout cela parait simple, trop simple même, car même si coté mobile, il est vrai qu’il suffit de charger l’application TagPay, coté fournisseur de service – TPE – terminaux de paiement électroniques, DAB – Distributeurs automatiques de Billet, Valideur de transport (portillon RATP), porte d’hôtel, il est nécessaire que ces terminaux soient adaptés et équipés, d’une solution logicielle (dans les cas les plus favorables – un PC), soit d’une solution hardware (avec micro et haut-parleur) ce qui rend l’implémentation d’une telle solution encore plus complexe sur une infrastructure existante.
- Les applications – La solution proposée ne correspond qu’à une partie des fonctionnalités permises par le NFC, la partie paiement sans contact et dans une certaine mesure l’accès. Elle est peut-être utilisée pour des applications d’ouverture de porte d’hôtel comme c’est le cas de la solution proposée par Openways, une autres société française proposant des solutions de clés par mobile utilisant la technologie NSDT. Les lecteurs de ce blog savent qu’il y a beaucoup plus d’applications dans la technologie NFC. La solution Tagattitude ne permet de lire ou d’écrire des étiquettes NFC, de faire du peer2peer, de communiquer simplement avec l’infrastructure NFC 14443 déjà cité. Elle est totalement imcompatible avec la préconisation Cityzi développée à Nice et en cours de déploiement dans d’autres villes en France.
- L’expérience utilisateur – Un des avantages importants des applications NFC est le « geste », celui que fait l’utilisateur en effleurant le valideur RATP par exemple avec sa carte Navigo, ou un paiement de faible montant sans code. Pour reprendre un exemple tiré du site Tagattitude, pour retirer de l’argent d’un DAB préalablement mise à jour pour accepter la solution, l’utilisateur de la solutions Tagattitude doit commencer par rentrer son No de mobile et un code, une expérience utilisateur fondamentalement différente (source site Tagattitude).
- Les standards – Tous les grands acteurs du mobile et du NFC se sont regroupés au sein du NFC forum (Google, Microsoft, Samsung, Nokia, Visa, MasterCard, Paypal, Sony, et bien d’autres) pour coordonner, unifier, standardiser et développer l’inter-opérabilité entre les acteurs. Les spécifications du NFC sont basées sur une norme ISO 14443. La solution Tagattitude est propriétaire et en date de la semaine dernière, Tagattitude n’était pas membre du NFC Forum.
- La technologie – Sans remettre en cause les qualités de la technologie Tagattitude, l’utilisation du terme NFC 2.0 ™ pour la décrire est totalement trompeuse. Tout en reconnaissant que l’acronyme NFC signifie « Communication en Champ Proche », et que la solution Tagattitude peut être considéré comme de « la communication proche », le terme est incorrect car il n’y a pas de notion de champ (le Field du NFC) mais des échanges de sons. Le terme NAC – Near Audio Communication ou NSC – Near Sound Communication – serait plus adapté si vraiment la société cherchait à décrire de façon neutre sa technologie. Tagattitude le reconnait implicitement en ayant utiliser un terme spécifique – le NSDT, et en décrivant, dans leur propre site, le NFC comme une ‘alternative » à leur technologie.
- Le terme NFC 2.0 – Est ce qu’une société commercialisant un nouveau type de bus de communication entre ordinateurs pourrait appeler son système USB 4.0 sans aucune compatibilité avec les précédents connecteurs USB et sans tromper les consommateurs ? Est ce qu’une société développant un lecteur de disque vidéo pourrait vendre son produit sous le terme Bluray 3.0 toujours sans aucune compatibilité avec les disques Bluray existants ? Itou un Bluetooth 4 ?
Tagattitude a développé une très bonne technologie, le NSDT, basée sur l’émission et la réception audio sécurisé, et la commercialise partout dans le monde pour des applications principalement de paiement mobile dans des pays faiblement bancarisés. Elle a l’avantage de fonctionner sur un parc installé important de mobiles (contrairement au NFC) et c’est une bonne solution de paiement mobile avec des sites web sur PC. Elle a aussi l’inconvénient majeur d’être incompatible avec l’infrastructure de transport et de cartes bancaires de type NFC / 14443 et elle est totalement propriétaire. Certaines applications sont proches de celles rendues possibles par le NFC et il était tentant pour l’entreprise de surfer sur la présence médiatique du NFC pour se faire connaitre en allant jusqu’à déposer la marque « NFC 2.0 », se plaçant ainsi sur un terrain juridique plutôt que technologique. On ne peut que le regretter par la confusion que cela pourrait générer auprès des consommateurs.
Méfiez vous donc des imitations !
Pierre Métivier
L’article de Tech Crunch et ses commentaires
L’article sur le blog Paiement mobile et ses commentaires