Depuis ce lundi 28 mars 2016, les casques de réalité virtuelle (VR) Rift de la société Oculus, filiale de Facebook, sont officiellement disponibles dans 20 pays. L’occasion d’aborder le sujet et en particulier de revenir sur une photo qui a défrayé la chronique pendant le Mobile World Congress du mois dernier. On y voyait Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, qui a donc racheté Oculus, remontant, tout sourire, une allée d’une salle de conférences. Autour de lui, des centaines de personnes, « chaussées » de casques de réalité virtuelle Samsung, basées sur la technologie Oculus Rift de sa société. Ces conférenciers ne le voient pas, ne l’entendent pas, tout aux images et aux sons que Facebook et Samsung ont choisi de leur montrer.
Avant de commenter cette photo, rappelons ce qu’est la réalité virtuelle. Pour ceux qui ne l’ont jamais expérimentée, imaginez les lunettes utilisées pour le cinéma 3D. Vous y ajoutez une immersion totale dans l’image bien sûr et dans le son. Et puis et surtout, il y a cette possibilité de choisir ce que l’on regarde dans toutes les directions. Que l’on regarde à gauche à droite, derrière soi, en tournant la tête, on est toujours dans l’image virtuelle, exactement comme dans le réel. Le casque intègre un écran spécialisé (ou le smart phone de la personne), dans tous les cas un écran très proche de ses yeux. Pour les versions les plus sophistiquées, le regard sur un point spécifique peut commander une action, ouvrir une porte virtuelle, par exemple, et permettre d’avancer. Cela peut également se faire par des manettes adaptées.
Parmi les démonstrations du MWC, il y avait, entre autres, une promenade dans les fonds marins, un grand 8 impressionnant, associé à des sièges animés, réagissant dynamiquement aux images (comme dans Star Tours), des jeux de type « shoot them up » ou des applications business, de formation, de simulation ou de promotion marketing. Toutes les grandes entreprises numériques travaillent sur ce sujet et pour Mark Zuckerberg, c’est même l’avenir des réseaux sociaux. Parmi les utilisations les plus marquantes de la réalité virtuelle, il y a les incroyables opérations de chirurgie éveillée.
Des versions de casques VR en carton (comme les Google Cardboards), simples, économiques mais très efficaces, donnent une bonne idée des sensations. Le cas de perte d’équilibre ou de sensation de vertige, ne sont pas rares même sur ces casques rustiques.
L’expérience VR est immersive, sans aucune interaction avec l’extérieur. Contrairement au cinéma 3D par exemple, ou aux Google Glass, l’utilisateur est coupé du monde, sans relation avec son environnement ou les personnes autour de lui. Au MWC, il suffisait de regarder le comportement des personnes utilisant les casques, totalement dans leur expérience, avec des expressions faciales ou des gestes qu’ils ne feraient jamais en public. Une sorte de perte de conscience et de repères de ce qui les entourent, et nous n’en sommes qu’au début de cette technologie, qui va devenir de plus en plus proche de la réalité en terme de qualité d’image, de son et d’interaction, capables d’emmener les utilisateurs vers des paradis artificiels jamais encore entrevus voire des enfers sans limites dans le cas d’une utilisation de la réalité virtuelle imposée (penser les séquences rééducation dans Orange Mécanique) .
Si on revient maintenant à la fameuse photo, le parallèle avec la Matrix du film éponyme est saisissant. Attention spoiler 😃 La « Matrix » est une collection de logiciels qui virtualisent une réalité pour les hommes non libres dont la fonction est d’apporter de l’énergie aux ordinateurs de la dite Matrix. Néo et ses compagnons se sont affranchis de la Matrix mais peuvent y séjourner (voire la conclusion du billet) Fin du spoiler. Dans le cas de Mark « Néo » Zuckerberg, il semble marcher libre parmi des hommes qu’il contrôle grâce au casque. Non seulement Néo a échappé à la Matrix, mais il la contrôle. Ajoutons le fait que Facebook ait accès aux informations personnelles de plus de 1,2 milliard de personnes incite à la prudence. Ces données pourraient permettre à Facebook, ou toute personne ou groupe dérobant ses données, d’emmener chaque utilisateur dans un univers virtuel, personnalisé, familier, avec des avatars d’amis, des lieux connus, et tout cela pourrait avoir (ou aura) des conséquences probablement insuffisamment étudiées (à notre connaissance).
Et donc la réalité virtuelle prépare-t-elle un futur à la Matrix, va-t-elle introduire de nouveaux paradis artificiels ou sera-t-elle une révolution technologique sans précédent en particulier dans le domaine des relations sociales, de l’éducation et des jeux ? Sûrement un peu des trois bien sûr. Comme toute technologie, la réalité virtuelle aura des utilisations très positives et d’autres négatives, nous en avons parlé dans un billet récent, et elle n’échappera pas à cette règle. Elle est ce qu’en feront les hommes et leur imagination est sans limite. A « vision of the things to be » chère à M*A*S*H ? A chacun d’entre nous de décider.
Enfin, notons que le smart phone (numérique) est l’écran (principalement) utilisé pour entrer et se déplacer dans le monde de la « réalité virtuelle » alors que dans Matrix, c’est le téléphone filaire (et donc analogique) qui permet de sortir de cette même virtualité. Coincidence ? I think not. (*)
A suivre … dans une réalité plus ou moins virtuelle…. mais laquelle ?
@PierreMétivier
(*) La réalité virtuelle n’est pas la première technologie à être évoquée à travers le film Matrix. Rappelez-vous ce que proposent l’Oracle lorsque Néo la rencontre. Des cookies, allusion très claire à toutes ces petits logiciels qui gardent trace de nos actions sur le web. La société hégémonique n’est pas spécialement Facebook mais toutes les sociétés stockant des informations personnelles pour les monétiser. –> Les cookies, du web aux objets connectés
Pour aller plus loin
- Le site Oculus
- Chaine YouTube de vidéos en VR
- Challenges – L’Oculus Rift se lance (enfin!) dans la bataille de la réalité virtuelle
- Challenges – MWC: quand Samsung et Facebook parient sur la réalité virtuelle
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Sciences et Avenir – Cerveau : quand la chirurgie éveillée se fait sous réalité virtuelle
- DailyMail (English) – Résumé des événements très complet avec la réponse de Mark Zuckerberg lui-même dans cet article en anglais.
- The Atlantic – Dystopian virtual reality is here, it’s stranger than science fiction <– Très complet.
- ZDNET – L’année zéro de la réalité virtuelle ?
- Les numériques – MWC 2016 – Mark Zuckerberg et Samsung jouent avec la réalité virtuelle : Amusant ou inquiétant ?
- Blog Avec ou sans contact – La technologie n’est ni bonne ni mauvaise, elle est ce que les hommes en font
- Blog Avec ou sans contact – Une innovation ne se décrète pas, elle se constate.
Note
- D’après Wikipédia, l’expression de réalité virtuelle remonte à Antonin Artaud, dans « Le Théâtre et son double » (1938), dans lequel Artaud décrit le théâtre comme « la réalité virtuelle ». Une magnifique référence.
- Réalité virtuelle : Oxymore ou pas ? Peut-être pas d’après ce même article de Wikipédia
La polémique sur la pertinence d’une expression qui est devenue un terme technique vient du fait que selon le dictionnaire français, « réalité » ne s’oppose pas à « virtuel » mais à « fiction ». De nombreux auteurs incluant Pierre Lévy et Gilles Deleuze ont rappelé que le contraire de « virtuel » est « actuel » et non « réel ». Le virtuel est donc bien une composante de la réalité, c’est selon Maurice Benayoun « le réel avant qu’il ne passe à l’acte » (sous entendu : avant qu’il ne s’actualise), introduisant ainsi l’idée d’un en deçà de la représentation qui précéderait son actualisation. L’expression Réalité Virtuelle ne peut donc systématiquement être considérée comme un oxymore. En définitive, la formulation correcte serait « virtualité réaliste ».