Pas moins de quatre conférences ont eu lieu en trois semaines sur ces sujets sans compter d’autres à venir et de nombreux articles récents apportent une nouvelle lumière (une sélection en fin de billet) sur le monde crypto.
Ci-joint un compte rendu rapide de ces conférences, suivis en direct ou en podcast (lien inclus quand disponible), proposant différents points de vue, d’où l’intérêt de les comparer et de les rapprocher et, basé sur ces différentes expertises, en tirer des leçons concernant le bitcoin, la blockchain et les NFTs.
22 mars – Lundis de la Cybersécurité – Blockchains : des Incas au futur Internet, les meilleures applications de demain »
Organisé par Gérard Peliks, cet épisode des bien connus Lundis de la Cybersécurité avait comme intervenant principal Jean-Jacques Quisquater, professeur émérite de cryptologie et de sécurité à l’École polytechnique de Louvain, en Belgique. Membre de l’IEEE et académicien titulaire à l’Académie royale de Belgique, il est également chercheur associé au MIT et membre d’honneur de l’ARCSI.
S’en est suivi une revue passionnante du monde de la blockchain par un de ses acteurs, dont les travaux ont permis son développement. Jean-Jacques a régalé et passionné l’audience par ses rappels historiques remontant aux incas (khipu), les premières recherches en 1977, avant le fameux texte fondateur de Satoshi Nakamoto en 2008, pour illustrer son propos. Son enquête très fouillée sur qui se cache derrière ce nom (une question à 60 milliards de $ au cours du jour) est à découvrir. Par delà tous les avantages et possibilités offerts par la blockchain et détaillés avec minutie, Jean-Jacques a également rappelé le problème énergétique posé par l’algorithme de consensus à base de preuve de travail (proof of work) du bitcoin et le fait que sa production en soit dominée par « 4-5 consortia chinois ». Probablement la présentation la plus détaillée que nous ayons eu l’occasion d’écouter sur ces sujets.
–> Le replay ainsi que les 220 slides préparées par le professeur Jean-Jacques Quisquater disponibles sur le site du Medef 92.
6 avril AFIS – La blockchain et le bitcoin
François-Marie Bréon et Jean-Paul Krivine de l’AFIS (Association française pour l’information scientifique) a invité Jean Paul Delahaye, professeur émérite de l’Université de de Lille, et spécialiste connu et reconnu du monde de la blockchain et du bitcoin pour un présentation intitulé sobrement « La blockchain et le bitcoin ». Des définitions simples et précises – « Une blockchain est un registre partagé infalsifiable indestructible composé de blocs successivement validés, daté et conservés par ordre chronologique. » Des rappels utiles « Dans le cas du bitcoin, les données ne sont pas chiffrées. On peut suivre le contenu des comptes même si on ne connait pas le propriétaire du compte. » Une présentation complète et plus sobre que la précédente, également plus détaillée sur le minage et le chiffrage de la consommation énergétique du bitcoin (100 TWh/an – 10 réacteurs nucléaires au moins).
–> Le site de la conférence. Le replay n’est pas disponible à ce jour. Le live tweet de l’événement permet de revoir en grande partie la présentation avec de nombreuses illustrations
7 avril – La Méthode scientifique, France Culture, NFT, cryptoarts
Qu’est-ce qu’un NFT ? Que renferme la nouvelle technologie constituée par les NFT ? En quoi l’utilisation de la blockchain est-elle un avantage ? Quelles différences entre un NFT et un bitcoin ? Effet de monde ou nouvelle modalité de transaction numérique ? Telles étaient quelques unes des questions posées par Nicolas Martin, l’animateur de la Méthode Scientifique sur France Culture à ses deux invités : Nicolas Pouard, Directeur de la Blockchain Initiative et responsable du lab d’innovation stratégique, Ubisoft et Claire Balva Directrice “Blockchain et cryptoactifs”, KMPG.
Les cryptoarts (sous différentes formes crypto kitties, colored coins, cryptopunks) existent depuis 4 ans mais avec les liquidités rendus disponibles par les différents gouvernements dans le cadre de la crise du la Covid-10, le phénomène a pris de l’ampleur. Un NFT, c’est un jeton / token qui représente un objet physique (ou numérique), il possède une dimension affectivité. Il permet de tracer les droits de propriétés. Dimensions de programmabilité (pour gérer les royalties par exemple par rapport aux certificats de propriété) et interopérabilité. Fongibilité (jeton séparable comme la monnaie) vs non-fongibibilité (le jeton est objet entier, unique, identifié, insécable). Un NFT est unique. Interview de Rodolphe Barsikian, artiste vectoriel et gamer, qui refuse l’opposition du réel et du virtuel
Le NFT permet le développement l’unicité dans le monde virtuel où la copie est standard, permet également de réguler un marché de l’occasion des objets également dans le monde du jeu (Ubisoft), régularisation d’un usage existant comme la vente d’un jouet sur le Boncoin. Notion de #playtoearn. La blockchain devrait avoir un impact important dans le futur sur la gestion des droits d’auteurs et la reconquête de la propriété privé
–> Le replay et de nombreux documents et infographies à retrouver sur la page de l’émission.
7 avril – Laurence Allard, MobActu « Tout ce que vous avez voulu savoir sur les NFT’s et le CryptoArt : techniques, usages, écologies »
Laurence Allard, maîtresse de conférences, sciences de la communication, IRCAV-Université Paris-Sorbonne Nouvelle/Université de Lille a invité Albertine Meunier (artiste, curatrice de l’exposition « De la Tulipe à la Crypto Marguerite »), Adrian Sauzade (expert praticien en cryptomonnaies) ; Gauthier Roussilhe (designer, auteur notamment du rapport « Que peut le numérique pour la transition écologique ») ; Serge Hoffman (artiste, collectionneur et professeur responsable du département des Arts numériques à La Cambre, Bruxelles) ; Sébastien Gouspillou (CEO de Bigblock DC, Bitcoin mining) et Maël Rolland (doctorant, EHESS, thèse d’économie en cours au sujet des cryptomonnaies) pour échanger sur le sujet.
Avec une présentation du phénomène crypto « en sociologue pragmatisme », Laurence Allard a posé les bases du débat. Serge Hoffmann a rappelé l’histoire des NFTs en remontant aux crypto-kitties et la défunte plateforme Ascribe (2013) avant de se lancer dans la création live d’une « oeuvre d’art » (une copie d’écran des intervenant), de sa mise en ligne et en vente comme NFT en passant par l’utilisation d’un wallet crypto Tezos et la création de 5 copies sur la plateforme HicEtNunc. Une impressionnante démonstration de la simplicité relative à la mise en ligne de NFTs.
Adrian Sauzade est revenu sur les grands concepts de la blockchain, rappelé les caractéritistiques des tokens et des coloredcoins (l’ancêtre des NFTs). Il a ensuite défendu le dogme d’un bitcoin (en format preuve de travail) comme plateforme indispensable (quelque soit ses conséquences écologiques) à l’écosystème blockchain. Albertine Meunier a présenté le point de vue de l’artiste, expliquant comment vendre et collectionner des NFTs, présentant les différentes marketplaces, de nombreuses oeuvres puis l’exposition en cours « De la tulipe à la crypto marguerite » à l’Avant-Galerie Vossen.
Sébastien Gouspillou, co-fondateur d’une entreprise de minage BigBlock Data center, qui conçoit et gére des datacenters dédiés aux calculs blockchain, a présenté le point de vue des mineurs. Sa « mission : to qualify France in the world competition of proof of work » (Linkedin) (1) . Interrogé sur le problème de la consommation énergétique, sa réponse a été qu’il n’existe pas. « Une seule personne est à l’origine de l’info sur la consommation du bitcoin et cette personne (Alex De Vries, DigiEconomist) ne croit pas à ce qu’elle dit » (2). Autres verbatims « On produit deux fois plus d’électricité dans le monde qu’on n’en consomme ! » (3) Les mineurs ne cherchent plus que du décarboné (4). Il a également nié le problème du matériel : GPUs, CPUs et toutes ses immenses fermes de serveurs partout dans le monde (fabrication, minage de terres rares, recyclage). « Plus ça consommera, moins ça sera un problème. » a-t-il affimé !
Ensuite Gauthier Roussilhe a présenté un sujet sur « L’empreinte écologique du numérique » ou comment réintégrer le numérique dans les limites planétaires. Au sujet de l’écosystème du bitcoin, il a présenté quelques chiffres autour de l’empreinte « superficielle » spécifiques du bitcoin. Enfin, Maël Rolland a eu une approche sociologique et politique différentes, comparant Ethereum et Bitcoin dans le cadre des consensus. Il a également signalé qu’il était difficile de s’exprimer sur ses sujets, la communauté Bitcoin étant très réactive lorsque les arguments n’allaient pas dans leur sens. (5) S’en est suivi un débat riche et passionné.
–> Le site du webinaire et le replay.
Que retenir de ces quatre échanges autour de bitcoin, blockchain et NFTs. D’abord, quelques verbatims éclairant les spécificités de la blockchain.
- Le sujet est compliqué, « compliqué pour le commun des mortels de comprendre » a précisé Adrian Sauzade (et je confirme en tant que commun des mortel – ndlr)
- « L’internet a permis la circulation de l’information de pair à pair, les blockchains permettent la circulation de pair à pair » Jean-Paul Delahaye.
- « L’internet permet de diffuser. On duplique ce que l’on transmet. Sur la blockchain, ce que vous transmettez ne vous appartient plus » Adrian Sauzade
- « La possibilité de créer des choses non-duplicables dans le monde du numérique a une énorme valeur. » Eric Schmidt, Alphabet
Et deux leçons.
La première concerne les NFTs. Ce n’est pas parce que chacun puisse mettre en ligne et en vente des JPG sur des marketplace que chacun est un artiste. Par delà la disparité des oeuvres vendues et les sommes étonnantes atteintes par certaines, le NFT permet le développement de l’unicité dans le monde virtuel où la copie est standard. Elle devrait apporter des solutions dans le futur sur la gestion des droits d’auteurs et une certaine forme de reconquête de la propriété privé.
La consommation des plateformes utilisant une blockchain utilisant la proof of work a été discutée pendant la 4ème conférence. Des artistes s’en sont inquiétés comme Joanie Lemercier et ont partagé leur expérience sur le sujet.
Par contre, le sujet blanchiment d’argent n’a pas été évoqué. Les cryptoarts sont achetés et vendus en cryptomonnaies dont la provenance est anonyme (les écritures dans la blockchain bitcoin sont en clair mais les comptes sont anonymes et le reste tant que les cryptomonnaies ne sont pas converties en monnaie fiat « classique« ). Les créateurs de ransomware pourraient acheter des NFTs pour écouler leurs butins. Certains s’en inquiètent.
Et la seconde leçon s’applique à l’écosystème bitcoin. Clairement identifiés par deux professeurs spécialistes du bitcoin au cours des deux premières conférences et rejetés sans preuve pendant la dernière conférence, la consommation énergétique et le coût écologique (fabrication (et recyclage) des machines, cartes CPU, GPU, fermes de serveurs …) nécessaires au minage du bitcoin sont trop importants pour les bénéfices obtenus. Les données existent et sont publiques. Voir la note (2) pour les liens. Cela ne remet pas en cause les possibilités apportées par les blockchains de type preuve d’enjeux (proof of stake). L’écosystème Ethereum semble l’avoir compris ce qui n’est pas le cas du monde Bitcoin.
A ce jour, que cela plaise ou pas aux aficionados de la cryptomonnaie, le bitcoin est principalement utilisé pour la spéculation financière et le trading, et dans une moindre mesure, le paiement de ransomware, d’achats sur les darkwebs et le blanchiment d’argent (6). Il permet aussi d’acheter des Tesla et payer ses impôts à Zoug en Suisse. Toutes les discussions autour du remplacement du système monétaire ou bancaire par le bitcoin sont des vœux pieux de ses défenseurs et non une demande des gouvernements ou responsables des système financiers en place. Rien de ce que le système bancaire actuel apporte à des milliards d’habitants de la planète à commencer par les paiements, les salaires, les impôts … n’est opérationnel côté bitcoin. Ce dernier n’améliore en rien, n’apporte rien à la vie des citoyens à ce jour. Des solutions comme MPesa, en Afrique, avec de simples portables, ont résolu des problèmes de bancarisation, bien plus rapidement, écologiquement et économiquement que ne le fera jamais le bitcoin dans sa version actuelle.
Si l’existence du bitcoin n’est là que pour maintenir la confiance qu’un système blockchain peut fonctionner à l’échelle mondiale (ce qui a été affirmé pendant la 4ème conférence), l’immense consommation énergétique du bitcoin et son empreinte écologique (y compris matériel – fabrication et recyclage) ne peut se justifier. De nouveau, sans remettre en cause le principe de la blockchain et de toutes ses applications d’aujourd’hui et de demain, la version bitcoin PoW est insoutenable écologiquement (unsustainable). Le bitcoin doit se réformer (7) ou disparaitre sous sa forme présente.
My own 0,02 satoshi.
A suivre.
Pierre Métivier
@PierreMetivier
Notes
- Minage au Kazakhstan. L’énergie en France est globalement décarboné. C’est donc pour des raisons économiques que l’entreprise mine au Kazakhstan. Voir (4)
- Il existe plusieurs sources y compris universitaires qui étudient la consommation électrique des cryptomonnaies, la plus connue étant l’Université de Cambridge mais aussi DigiEconomist / Joule, une nouvelle étude commune US/Chine journal Nature sans oublier le CNRS.
- La différence entre production et consommation d’électricité est d’environ 14 % que ce soit en France ou dans le monde. Production monde, consommation monde. (c) Statista
- Entre 60 et 75% du minage est en Chine, globalement alimenté au charbon, voir le tout récent article de la BBC. qui pourrait remettre les engagements des accords de la Cop de Paris.
- Deux communautés à priori opposées défendent les cryptomonnaies et en particulier le Bitcoin. La communauté open source / communs et aussi la communauté libertariaine « libertarians » Je rêve d’une étude permettant de comprendre les relations entre les deux communautés.
- Suite à la publication deu billet et à des échanges sur Twitter, j’ai clarifié mon propos sur l’usage principal du bitcoin et en particulier sur la partie illicite. Vous trouverez également deux liens vers des sources d’informations (Europol, Chainalysis) sur le sujet dans la partie « Pour aller plus loin« .
- La réforme du bitcoin est difficile. Passer à la PoS signifierait l’arrêt de l’industrie du minage. Les entreprises spécialisées ne vont pas d’elles-même arrêter leur activités.
Pour aller plus loin
- Jeudi 29 avril – Observatoire du FIC – Crypto-crime : la face cachée des monnaies virtuelles
- Les conclusions de l’étude sino/anglo/américaine sur la consommation énergétique du bitcoin en Chine, reprise par la BBC
- The Conversation Bitcoin: l’intenable promesse d’une monnaie pour tous.
- LinkedIn NFT et blanchiment d’argent
- Sur ce blog
- Le site de Jean-Paul Delahaye avec de nombreuses présentations.
- Absent des deux conférences autour des NTF, Joanie Lemercier, artiste ayant testé les NFT, et arrêté en comprenant l’impact énergétique de la plupart des blochchain et en particulier d’Ethereum. The problem of cryptoart
- Equal Times Sur le minage au Kazakhstan avec interview de Sébastien Gouspillou – Nouvel eldorado du minage des cryptomonnaies, le Kazakhstan peut-il y voir un bénéfice ou un danger pour l’environnement ?
- CryptoAst.FR Qu’est-ce que le mouvement libertarien, fer de lance politique du Bitcoin ?
- Europol – INTERNET ORGANISED CRIME THREAT ASSESSMENT (IOCTA) 2020
- Chainalysis – Crypto Crime Summarized: Scams and Darknet Markets Dominated 2020 by Revenue, But Ransomware Is the Bigger Story
- Cryptonaute – L’utilisation des énergies renouvelables dans le minage
- Nature communications – Policy assessments for the carbon emission flows and sustainability of Bitcoin blockchain operation in China (In 2024, projection à 296.59 TW/h liée au minage de bitcoins)
- University of Cambridge Judge Business School – 3rd Global Cryptoasset Benchmarking Study