Tentative d’épuisement de l’avenir du futur, le nouveau livre de rafi haladjian

rafi haladjian - Tentative d'épuisement de l'avenir du futur

rafi haladjian – Tentative d’épuisement de l’avenir du futur

Le livre de rafi haladjian est multiple. Cest à la fois l’autobiographie (1) du co-inventeur du Nabaztag (2), le premier lapin connecté, et une brève narration de ses entreprises (depuis ses premiers pas dans le monde du minitel nourricier, puis FranceNet, Ozone, Violet, Sen.se et désormais Juice), une histoire passionnante de la micro-informatique, du numérique en passant par l’IOT (3) et les medias mais surtout du Savoir, des livres (4), de l’information, de la donnée, un précis d’innovation (5) avec, entre autres, une classification inspirée du modèle ISO sans oublier un récit prospectif décrivant un PostWeb où les Web3 et autres Métavers n’ont pas leur place (6), le tout saupoudré de sagesse et d’humour franco-libano-arménien. C’est enfin un jeu (7), incitant le lecteur à la découverte de nombreuses références y compris des bouts de phrase de chansons (8) ou de séries (9), intégrés dans le texte.

Une photo de colloque, où des gens sourient un peu d'un air géné.

« Une photo de colloque, où des gens sourient un peu d’un air gêné. » Photo – pm

Le titre est clairement et volontairement inspiré de Georges Perec que l’on retrouve plusieurs fois dans le livre, en compagnie d’autres oulipiens comme Raymond Queneau et Italo Calvino et plein d’autres personnages très variés (10), quelques chanteurs belges et des ratons-laveurs ; rafi partageant bien volontiers avec son lecteur quelques uns des membres de son Panthéon personnel. Le film Inception (11) semble également avoir été une source indirecte d’inspiration avec ces notes (12) dans les notes de bas de pages jusqu’à 3 niveaux ! (13)

Le contenu du livre est trop riche pour être résumé en quelques lignes. Ceci dit. En étudiant l’évolution du Savoir jusqu’aux données, du moyen-age à nos jours, des technologies, des types de media (importance de la radio), en utilisant son propre modèle d’innovation sans oublier le paramètre-clé du temps disponible de chacun d’entre nous, rafi rend compréhensible notre époque numérique et propose un PostWeb logique, différent des propositions type web3 / métavers en cours.

rafi douglas roland alvin

rafi douglas roland alvin and friends

Du coup (14), c’est une lecture passionnante, chatoyante, indispensable, non seulement pour les boomers (15), mais tout.e person.ne intéressé.e (16) à comprendre l’impact de la donnée, du numérique et de l’innovation dans notre monde incertain. Un livre à classer avec ceux d’Alvin Toffler, Douglas Hofstadter et Roland Moreno (17).

Est-ce le livre qui répondra à la question : Qu’il y aura t-il après le Web actuel ? Nous le saurons dans 5 à 10 ans, en attendant les pistes ouvertes par rafi haladjian méritent d’être explorées sérieusement.

Merci Monsieur rafi (18).

A suivre

@pierremetivier

Notes

  1. Pas tant que cela rétrospectivement.
  2. Avec Olivier Mevel
  3. Finalement, l’IOT y est peu abordé. L’aventure du e-lapin, précurseur des enceintes connectés, est décrite brièvement sans épanchement superflu. Pas d’internet des objets industriels (*) . Et les objets connectés grand public ne semblent plus présents dans un futur proche.
  4. Des pages formidables sur les livres.
  5. Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Où va-t’elle ?
  6. Au moins à court terme.
  7. Un jeu plutôt qu’un je, la partie autobiographique étant très légère – Voir Note 1
  8. Y’a du Sheila, chanteuse belge.
  9. Les envahisseurs ou Columbo
  10. En dehors de ses compagnons d’aventures livresques (Saint Jérôme de Stridon et Steve Jobs), et les innovateurs et dirigeants du numérique, on retrouve dans un désordre organisé Frank Zappa (**), Jethro Tull, Groucho Marx, François Morel, Radiohead, Michel Tournier, Georges Brassens, Erik Satie, Eugene Ionesco, Umberto Eco, William Gibson, Joy Division, Brigitte Fontaine, Gabriel Garcia-Marquez, Jose-luis Borges … parmi des dizaines d’autres.
  11. Film de Christopher Nolan non cité au générique
  12. Une déception pour le lecteur, ne pas avoir atteint la lecture de 1000 notes de bas-de-page. Ceci dit, 932 est probablement un record.
  13. J’ai hésité à mettre une note de bas de page dès le titre de l’article, pas sûr que cela a  déjà été fait. Par les oulipiens peut-être ?
  14. Inside joke, lire le livre pour comprendre.
  15. Personne dont la date de naissance lui a permis de vivre en direct le développement de la micro-informatique et du numérique jusqu’à ce jour. Il est capable d’imiter le son d’un modem se connectant. #RNA Votre serviteur en est un, ayant vécu (plus ou moins) en parallèle cette histoire dans des entreprises différentes.
  16. Du directeur de l’innovation, ses équipes, tout cadre à l’esprit curieux et ouvert, tous les étudiants dans les domaines du numérique et l’innovation (***).
  17. Avec un r minuscule mais un M majuscule

Notes dans les notes

(*) Comme le lecteur assidu et patient a pu s’en rendre compte, il n’y pas eu d’articles dans ce blog depuis plus d’un an. La lecture de ce livre m’a poussé à partager mon enthousiasme. Et donc voila ! Le prochain article sera consacré au développement croissant de l’IOT Industriel. Teaser – 45% des projets technologiques de la planète. #onnenousditpastout

(**) Mother de Sens.e vs Mothers of invention. Et peut-être « One size fits all« , expression qui revient plusieurs fois et titre d’un album de FZ.

(***) En conséquence, il y aura des points bonus pour mes élèves du M2 IMT&E de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne qui auront lu le livre. Il vous reste moins de 15 jours. 🙂 #joke

Pour aller plus loin

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Intelligence artificielle et création artistique, des éléments de réponse dans un livre de SF de 1966

IA et Création artistique

IA et Création artistique

L’intelligence artificielle se rapproche-t-elle de l’intelligence humaine ? Sujet récurrent depuis que la notion d’IA existe. Les victoires des ordinateurs sur les meilleurs joueurs d’échecs et désormais de go sont analysées de la sorte. L’âge de la singularité est proche : bientôt les ordinateurs seront plus intelligents que nous, proclament les prophètes comme Ray Kurzwell.

Plus récemment, c’est dans le domaine de l’art et en particulier de l’image que l’IA semble faire des progrès. Une IA s’est vu remettre un prix dans un concours d’art aux Etats Unis pour un tableau nommé « Théâtre d’Opéra Spatial » au grand dam des artistes présents.  Des logiciels comme Dall-E 2, Stability AI ou MidJourney permettent de créer des images en les décrivant simplement en langage naturel. L’image primée est impressionnante mais est-ce vraiment de l’art ?

Le temps d’un souffle je m’attarde, Roger Zelazny

Pour apporter quelques éléments au débat, nous allons faire appel à un grand écrivain de science-fiction, Roger Zelazny, qui a écrit en 1966 une nouvelle étonnante, Le temps d’un souffle, je m’attarde (For a breath, I tarry), nouvelle republiée récemment dont un extrait se trouve dans le dossier du Monde Diplomatique consacré à la Science Fiction (références en bas du billet).

La nouvelle se passe sur une terre où les humains ont disparu. Seuls, des ordinateurs, créés par l’homme, continuent à gérer la planète, automatiquement. Un de ces ordinateurs, Gel, ayant du temps libre, essaie de comprendre qui était l’homme alors qu’il ne reste plus que quelques artefacts. Il dialogue avec un autre ordinateur, Mordel, qui l’aide à amasser des connaissances sur le sujet. Gel veut « devenir » un homme. Arrêtons-nous là sur le synopsis. Le lien vers le sujet du jour est que, Gel, notre ordinateur, décide de créer des œuvres d’art, toujours dans sa quête de devenir humain. Et les dialogues de Roger Zelazny sont étonnamment en phase avec les questionnements IA et création artistique. Gel commence commence par la sculpture en copiant une œuvre existante, puis il réalise une copie dans un matériel différent toujours à la recherche, d’émotions, de sensations qui le rapprocheraient de l’homme. Il les montre à Mordel.

– Qu’est ce que l’art, je l’ignore, mais je sais ce qu’il n’est pas. Je sais que ce n’est pas la réplique exacte d’un objet en un autre matériau.
– C’est pourquoi, sans doute, je n’ai rien ressenti.

Ensuite Gel se met à la peinture, ajoute des éléments liés au hasard. Il présente à nouveau un tableau plus sophistiqué.

– Les artistes humains ne se donnaient jamais pour but de créer des œuvres d’art en tant que telles, mais plutôt de représenter au moyen de leur technique certains aspects des choses et de leurs fonctions qu’ils jugeaient significatifs.
– Significatives? En quel sens du mot?
– Dans le seul sens possible en l’occurrence : significatives par rapport à la condition humaine et dignes d’être mises en relief.
– De quelle manière?
– Manifestement, d’une manière que seul peut connaitre un être ayant l’expérience de la condition humaine.
– Ta logique doit présenter une faille, Mordel, et je la décèlerai.
– Quand tu voudras.
– Si ta prémisse majeure est correcte, dit Gel au bout d’un moment, alors je ne comprends pas l’art.
– Elle doit être correcte car elle est conforme à l’opinion des artistes humains. Dis-moi, as-tu ressenti quelque chose pendant que tu peignais ou une fois l’œuvre terminée?
– Non.
-C’était pour toi la même chose que de concevoir une nouvelle machine, n’est-ce pas? Un pur assemblage d’éléments donnés en schéma économique propre à réaliser une fonction voulue par toi.
– Oui.
– L’art, tel que j’en comprends la théorie, ne procédait pas ainsi. L’artiste ignorait souvent bien des aspects, bien des effets que devait contenir le produit fini. Tu es une des créations logiques de l’Homme; l’art ne l’était pas.
– Je ne puis comprendre la non-logique.
– Je t’ai dit que l’Homme était fondamentalement incompréhensible.
– Va-t-en, Mordel. Ta présence me dérange dans mon travail de tri des données.

Ce dialogue étonnant, entre 2 IAs, a été écrit il y a plus de 55 ans. Dans sa quête, Gel créée des œuvres probablement techniquement parfaites, mais sans aucune des émotions humaines, sans le ressenti « non-logique »  des artistes, tout comme les AI d’aujourd’hui Dalle-E, Stability AI ou MidJourney.

En 2020, dans le cadre des Mardis de l’Innovation, Marc Giget avait déjà abordé le sujet dans une session consacrée à la « Technologie, Intelligence Artificielle et Création artistique » Session toujours accessible sur le site YouTube des Mardis de l’Innovation.

Et sur une infographie de référence ci-dessous, Marc avait listé de nombreux traits caractéristiques de l’esprit humain non abordées par les IA. Dans la production d’œuvres de Gel et de nos IA, où sont l’inspiration, les envies, l’esprit, le génie, la sensibilité, le rêve, les désirs … ? La liste est longue des éléments qui nous séparent des IAs.

Quelques éléments uniques de l'intelligence créative (c) Marc Giget

Quelques éléments uniques de l’intelligence créative (c) Marc Giget

Le jour de la singularité est encore loin ! En attendant, vous avez largement le temps de lire cette poétique et magnifique nouvelle de Roger Zelazny.

A suivre.

@PierreMetivier

(*) La science fiction est une source inépuisable au sujet des conséquences positives et négatives de l’IA et de leurs versions « incarnées » les robots. Nous ne citerons que 2001 l’Odyssée de l’Espace et Carl / HAL, la même année que le livre de Roger Zelazny.

Pour aller plus loin

Sur l’IA dans ce blog

La science-fiction au service de l’innovation de Défense

Red Team – Ces guerres qui nous attendent (c) Red Team

Le collectif Red Team vient de publier « Ces guerres qui nous attendent » qui se présente (4ème de couv) comme un « polar d’anticipation géopolitique« .

Un site web accompagne le livre et le travail de l’équipe et nous en dit plus sur l’initiative Red team, « décidée à l’été 2019 par l’Agence de l’innovation de Défense (AID) avec l’Etat-major des armées (EMA), la Direction générale de l’armement (DGA) et la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) dans le cadre du Document d’orientation de l’innovation de Défense.

La mission de la Red Team se veut ambitieuse : composée d’auteur(e)s et de scénaristes de science-fiction travaillant étroitement avec des experts scientifiques et militaires, elle a pour but d’imaginer les menaces pouvant directement mettre en danger la France et ses intérêts. Elle doit notamment permettre d’anticiper les aspects technologiques, économiques, sociétaux et environnementaux de l’avenir qui pourraient engendrer des potentiels de conflictualités à horizon 2030 – 2060. » (Extrait du site RedTeam)

Odyssey-HAL-470 (c) Wikipedia Commons

La science fiction est une source inépuisable d’idées pour l’innovation, et ceci dans tous les domaines. Le médiatique métavers a été clairement décrit en 1992 par Neal Stephenson dans son livre Snowcrash (Le samouraï virtuel) et d’autres idées du même type proviennent du mouvement cyber punk (en particulier William Gibson et son Neuromancer qui a inspiré Matrix). La maintenance prédictive, tout comme les tablettes type iPad, sont décrites dans 2001 l’Odyssée de l’espace d’Arthur C. Clarke dès 1965 pour ne citer que ces simples exemples.

Pour tous les innovateurs, Technovelgy est un site encyclopédique présentant de très nombreuses innovations proposées par les écrivains de SF et également celles qui ont depuis réalisés. Attention, il est facile de s’y perdre. « It’s a trap« . Autre site passionnant, The Encyclopedia of Science Fiction.

Ce qui ne veut pas dire bien sûr que tout ce qui est décrit dans la SF se réalisera, cette dernière ayant tendance à s’affranchir des lois de la physique (tels que la gravité et la vitesse de la lumière).

Pour revenir au sujet de ce billet de lecture, il n’y a donc pas de raison que le monde de la Défense y échappe, bien au contraire. Les conflits, guerre et batailles sont légions dans la SF, la saga la plus populaire s’appelle Star Wars et Dune (sortie récemment en version cinématographique) nous illustrent d’autres conflits imaginaires.

Les 4 scenarii présentés dans le livre partent d’événements, de situations relativement proches de notre réalité. Un premier scénario commence à Kourou. Dans d’autres histoires, les lieux sont plus ou moins imaginaires. On retrouve des pirates, des réfugiés, des affrontements asymétriques, une omni-présence des technologies numériques et cyber, des essaims de drones, la data, les GAFAMs, les réseaux sociaux, les fake news, l’IA, la réalité virtuelle, le traçage par « puce », de l’impression 3D, de l’IOT (capteurs et effecteurs), du cloud (hyper) sans oublier, bien sûr, la fragilité de l’humain, que ce soit en tant que maillon faible d’une organisation ou victime des conflits.

Plus récits sans héros que polars ou romans, ces 4 histoires nous entrainent dans un monde qui semble proche de celui qui nous entoure, de part, peut-être, l’abondance de technologies connues, même si devenues hyper. Il est indiqué que certains des scénariis ont été réservés aux militaires ce qui est compréhensible, mais qui, peut-être, limite la portée imaginaire du livre. Pour les afficionados de la SF, certains récits feront plus penser à des études commandées à des spécialistes de la Défense plutôt qu’à des créations provenant d’écrivains de SF. Il manque un grain de folie qui fait partie des charmes de la SF et bien sûr il manque des héros. Les technologies et la réalité ont pris naturellement le pas sur la fiction. La lecture du livre n’en est pas moins passionnante pour toute personne intéressée par les évolutions de la Défense.

Soldat du futur (c) Mardis Innovation

Pour compléter la lecture, nous vous conseillons les replays de deux séries de conférences de 2017 sur le soldat du futur et la cyber-sécurité aux Mardis de l’innovation. Vous trouverez quelques liens ci-dessous, en particulier la présentation d’Emmanuel Chiva, l’actuel Directeur de l’Agence de l’Innovation de Défense, au Ministère des Armées et donc commanditaire des travaux de la Red team. La boucle est bouclée.

A suivre.

@pierremetivier

Pour aller plus loin

Science fiction et innovation sur ce blog

Aux Mardis de l’Innovation

  • Innovation & cyber défense  Vice-Amiral Arnaud Coustillière, Etat-major des armées
  • Le soldat du futur. Emmanuel CHIVA, Président de la commission R&T – Innovation, GICAT
  • Le soldat du futur. Michel Goya, Expert en stratégie et innovation militaire, et historien
  • Le soldat du futur. Jean-Baptiste Colas, Conseiller militaire, innovation et transition digitale, DGA – Direction Générale de l’Armement.

Innovation et science fiction